De son papa, directeur chez Richard, alors importante fabrique de montres et de bijoux à Morges, avec plusieurs boutiques en Suisse, devenues plus tard «Columna», Laetitia Probst a appris l’amour des pierres précieuses, de la gemmologie et la rigueur. De sa maman, italienne d’origine, elle a hérité l’accueil chaleureux des gens du Sud, le sourire éclatant et l’envie de faire plaisir aux autres. Son atelier est niché au rez-de-chaussée d’une ancienne et élégante maison morgienne, à deux pas du clapotis des vagues du Léman.
«Mon Dieu, cela fait trente-trois ans que j’ai ouvert mon atelier-boutique! Heureusement, j’étais jeune, je n’avais que vingt-trois ans… Quand je dis ça, j’ai l’impression d’en avoir 125!», et Laetitia éclate d’un rire de bonne vivante. Cette maman de trois enfants, dont un champion de natation, a toujours été une bricoleuse. Après avoir fabriqué, adolescente, des bijoux pour ses copines, elle est entrée en apprentissage chez le bijoutier lausannois André Jud. C’est son père qui lui avait déniché ce poste car, à l’époque, ce n’était pas évident de trouver un maître d’apprentissage qui prenne une fille. «André était exigeant, parfois soupe-au-lait, et on ne comptait pas nos heures, mais on a aussi beaucoup ri: je ne regrette vraiment pas ces années-là», sourit Laetitia. Elle poursuit, avec un brin de nostalgie: «Quand j’ai passé et réussi mon CFC, André m’a dit: ‹Maintenant, on s’appelle par nos prénoms et on se tutoie, on est au même niveau!›».
Laetitia, gemmologue certifiée IGI, qui a également passé son examen sur les diamants bruts «parce que c’était passionnant», adore les pierres de couleur qui inspirent souvent ses dessins et créations personnalisées.
Gold’Or: Comment et pourquoi avoir choisi la bijouterie?
Laetitia Probst: Pour dire la vérité, j’hésitais entre la chirurgie et la bijouterie. C’est toujours l’habileté de la main dans une profession ou l’autre. C’est mon père qui a tranché au scalpel. Il voyait bien que j’aimais les pierres quand je le regardais trier ses lots, à la fabrique. Aujourd’hui, je n’ai aucun regret. Je préfère voir mes clients heureux quand je leur livre une création que des personnes à moitié mortes après une opération!
Qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin?
J’adore ce que je fais et même après 33 ans d’atelier, je ne suis pas blasée. Faire plaisir aux gens, c’est ma motivation principale et j’avoue que 98 pour cent des personnes qui passent la porte de la boutique sont adorables. D’accord, deux pour cent d’entre elles «te bouffent» ta journée. Mais qu’est-ce que deux pour cent?
Comment avez-vous trouvé votre atelier?
J’ai commencé «petit» dans un autre quartier de Morges. Je faisais des réparations pour le public et pour une grande enseigne tout en réalisant quelques créations. Connaissant le propriétaire de plusieurs maisons de la rue Louis-de-Savoie, je lui ai demandé s’il n’avait pas quelque chose pour moi. Et un jour, il m’a fait visiter ce local qui était assez lugubre. J’ai dit «banco!» tout de suite et, petit à petit, je l’ai beaucoup amélioré. Mon bail démarrait en août et le premier septembre… J’accouchais!
Travaillez-vous à l’ancienne ou avec la technologie moderne?
Tout est fait à l’ancienne ici! Pas de laser, pas de 3D, juste des prototypes en cire. Nous travaillons toutes deux (ndlr: avec sa collègue Sandrine) encore au chalumeau à bouche. Je n’aime pas que les gens soient déçus alors j’essaie d’accepter les réparations, même sur les bijoux fantaisie, en faisant de mon mieux.
Êtes-vous écolo?
Tous les bijoutiers qui se respectent sont écolos. On utilise de l’or recyclé et certifié, je fais attention aux diamants et pierres de couleur que j’achète. Je choisis des marchands de pierres en qui j’ai pleine confiance et n’achète jamais aux vendeurs de passage. Je ne veux pas travailler avec des diamants synthétiques car, selon moi, ils ne sont pas plus écologiques que les naturels, malgré ce que la propagande tente de faire croire.
Comment qualifieriez-vous votre style?
D’un seul mot: adaptation! Chez moi, on ne fait ni du Cartier, ni du Chopard, ni… Je m’adapte aux désirs du client, c’est lui qui doit être heureux avec son bijou. Mes conseils sont, heureusement, souvent écoutés.
Comment voyez-vous l’avenir de votre métier?
Étant une optimiste, je le vois bien! Moins bon pour les bijouteries généralistes qui font de la «marque». De nombreux clients me disent qu’ils en ont marre de payer quatre fois le prix pour une marque. J’ai beaucoup de travail, je suis contente et ma collègue également. Pourtant, je ne fais jamais de publicité, si ce n’est du sponsoring sportif pour les jeunes. Les femmes aimeront toujours les bijoux, certains messieurs également, c’est la création qui fera la différence.
Pour terminer, quel(le) collègue pourrais-je rencontrer pour poursuivre cette série d’entretiens?
Pour changer, je choisis un sertisseur qui est aussi graveur, il s’agit de David Rubattel, Serti Swiss Sàrl à Sullens.
Catherine De Vincenti