A chaque mois de novembre, les grandes maisons internationales de ventes aux enchères installées à Genève, rivalisent pour présenter la plus belle ou la plus historique des collections de bijoux ou de pierres précieuses. Cette fin d’année, c’est Sotheby’s qui a gagné le prix de la beauté, de la rareté et de l’originalité avec sa vente du 6 novembre intitulée «Vienna 1900: An Imperial and Royal Collection».
Il est reposant, après plusieurs ventes où étaient présentés le plus gros, le plus rose ou le plus bleu des diamants naturels, de se trouver devant une collection cohérente de bijoux anciens, certains historiques, pratiquement jamais vus depuis le milieu du XXe siècle. La curiosité était fatalement attisée. De nombreux professionnels ou de simples amateurs se sont rués, dès le 7 septembre dernier, à New-York, Cologne, Paris, Hong-Kong, Singapour, Dubaï, Taipei et Londres pour découvrir cet ensemble de 250 bijoux avant sa dispersion à Genève.
Quand la Vienne impériale donnait le ton
L’empire austro-hongrois a éteint ses feux en octobre 1918 avec la fin de la première Guerre mondiale. Néanmoins, après la chute de la monarchie française de droit divin, à la toute fin du XVIIIe siècle, c’est Vienne capitale de la monarchie, parfois dite «empire» d’Autriche-Hongrie, qui prendra le relais d’une exceptionnelle vie de Cour, accueillant les familles royales de tout le continent. La collection qui sera vendue à Genève est le reflet le plus fascinant des goûts et des styles des maisons royales de Habsbourg, Bourbon-Parme, Bourbon-Deux-Siciles et Saxe-Cobourg-Gotha. Durant tout le XIXe siècle, la Cour de Vienne donnera le ton de la mode à travers toute l’Europe. Ses joailliers renommés tels Köchert ou Biedermann vont travailler pour toutes les maisons royales pendant que la France et ses artisans pansent leurs blessures.
L’histoire romanesque d’Eudoxie de Bulgarie
Eudoxie, fille de roi, sœur et tante de rois, naît au palais royal de Sofia en janvier 1898. Par son père, Ferdinand 1er, devenu roi des Bulgares en 1908, elle est une arrière-petite-fille de Louis-Philippe Ier, roi des Français; tandis que par sa mère, elle est la nièce de la dernière impératrice d’Autriche, Zita, et a pour ancêtres les ducs de Parme, les rois des Deux-Siciles, les rois de France et d’autres souverains européens. C’est une femme puissante au caractère bien trempé qui n’a jamais voulu se marier. Elle possède de nombreux bijoux et l’ensemble présenté à Genève lui doit beaucoup. Pour fuir l’avancée russe à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et sauver ses bijoux, elle débutera une odyssée rocambolesque.
La fuite à travers l’Europe
Alors que les Russes ont déjà pénétré en Bulgarie, elle est assignée à résidence dans sa maison. Elle en profite pour enterrer sa cassette de bijoux dans son jardin. Un beau jour, on lui donne vingt-quatre heures pour quitter le pays … sans ses bijoux. Elle transporte sa précieuse cassette, dans une brouette, sous des livres qu’elle apporte à la reine Giovanna, fille d’Umberto d’Italie, qui, elle, est autorisée à quitter le pays avec toutes ses possessions, y compris les bijoux. Débute alors un incroyable voyage, de la Bulgarie à la Grèce en train, puis, en bateau jusqu’à Alexandrie ensuite d’Egypte en Italie, et puis en Suisse, dans un camion de déménagement jusqu’en Allemagne où ses pérégrinations prennent fin. Ces bijoux font partie de la vente aux enchères de novembre. Ils viennent de réapparaître, il y a quelques mois seulement. Depuis 1946, ils dormaient dans une banque allemande.
Des vestiges des splendeurs passées
Des petits objets intimes dont un certain nombre de bijoux pour homme: boutons de manchettes, piques de cravate; un sceau en amazonite surmonté d’un ours, une broche en rubis et diamants représentant une fleur de lys stylisée; un peigne décoré de pierres multicolores, tant de ravissants et délicats objets familiaux. Mais aussi de nombreuses pièces historiques: diadèmes et tiares en diamants; tiare avec rubis exposant de ravissants petits nœuds; une parure exceptionnelle, collier et broche, signée Köchert, décorée de rubis birmans; un extraordinaire devant-de-corsage en diamants et perles fines; une broche avec perles Blister et diamants, et bien d’autres merveilles.
Toutes ces pièces rares et remarquables valaient bien la peine de traverser l’Europe en utilisant tous les moyens possibles ! Eudoxie de Bulgarie est décédée à l’âge de quatre-vingt-sept ans, à Friedrichshafen en Allemagne, le 4 octobre 1985, après avoir sauvé ses bijoux et les avoir laissé dormir dans le coffre d’une banque durant près de quarante ans.
Catherine De Vincenti