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Un «négligé» qui traverse les siècles sans une ride

Le petit monde des ventes aux enchères de très haut luxe est en émoi. C’est à Genève que sera mis à l’encan, le 11 novembre chez Sotheby’s, un exceptionnel collier en diamants de la fin du XVIIIe siècle. S’il pouvait parler, ce bijou aurait beaucoup à raconter sur les fastes de la monarchie britannique, mais aussi sur les ultimes années de la dernière reine de France, Marie-Antoinette.

Lorsque l’on parle, de nos jours, de bijoux anciens, ce ne sont pas des bijoux du siècle dernier*, c’est-à-dire du XXe siècle, mais généralement de pièces datant du XIXe siècle, de l’Empire ou du Second Empire français ou en Angleterre, de la fin de l’époque dite géorgienne qui a vu se succéder quatre rois George (I, II, III et IV) de 1714 à 1830 ou de l’ère victorienne. C’est pourquoi mettre la main aujourd’hui sur un joyau de cette importance de la fin du XVIIIe siècle, en parfait état et surtout, qui n’a jamais été modifié, dont toutes les pierres sont encore serties dans leurs chatons, et qui n’a pas subi «des ans l’irréparable outrage» d’avoir simplement passé à la fonte, est sensationnel.

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Le fameux «collier de la Reine» n’avait pas du tout été créé pour Marie-Antoinette mais pour la dernière favorite de son beau-père, Louis XV. Grâce à la grande générosité du roi, La Dubarry s’était constitué une collection de bijoux inestimable. Ironie de l'histoire, ses bijoux furent volés et, par la suite, mis aux enchères par la maison Christie's en 1795, devenant ainsi l'une des premières grandes ventes aux enchères de l’Histoire.

Un «négligé» chic

Ce bijou connu sous le nom de «collier de lady Anglesey» avait disparu des radars en 1976 alors que le septième marquis du nom l’avait vendu à un collectionneur asiatique. Le style du «négligé», soit un collier en «écharpe» sans fermoir, généralement terminé par des pampilles, des pompons ou «tassels» en anglais, est populaire au XVIIIe siècle. Celui qui nous occupe se compose de trois longues rivières de diamants et il est terminé par deux pompons d’un très beau volume, le tout faisant bon poids 300 carats, taillés à l’ancienne. Les pierres sont de très belle qualité et on parle des fameuses mines indiennes de Golconde. N’oublions pas qu’à l’époque et depuis toujours, les diamants proviennent des Indes. Dès 1725, on découvre des diamants au Brésil (dans la région de Diamantina), mais les pierres ont de la peine à arriver en Europe sous leur appellation de «diamants du Brésil», car la Compagnie des Indes, craignant un effondrement du marché, fait de la contre-publicité en laissant croire que la qualité et la dureté n’y sont pas. Finalement, grâce au comptoir de Goa où les pierres transitent, elles repartent avec une nouvelle étiquette de «diamants des Indes».

Marie-Antoinette aurait-elle pu connaître le «négligé»?

Ce magnifique joyau peut être de facture française ou anglaise. Malgré ses 500 pierres, il est d’une souplesse remarquable. Les experts le datent très probablement des années 1770 ou 1780, soit très peu de temps avant la Révolution française de 1789, qui coûtera sa tête à la reine Marie-Antoinette. Cette dernière, folle de «pierreries» et de bijoux, avait néanmoins refusé à plusieurs reprises à son mari, Louis XVI, le cadeau d’un chef-d’œuvre de diamants et de perles concentré en un collier de plusieurs rangs, se portant à la fois sur le décolleté et dans le dos. La période étant critique (déjà!) pour les finances du pays, elle aurait même dit: «Cet argent serait mieux employé à la construction d’un navire», alors que la France venait de s’allier avec les insurgés américains. Ce fameux collier, bien connu de tous sous l’appellation de «collier de la reine», a sans doute précipité la fin de la monarchie française, car il a été au cœur d’un scandale historique** dont le couple royal, qui n’y était pour rien, n’est pas sorti indemne. En 1772, ce collier avait été commandé par Louis XV qui souhaitait offrir un somptueux cadeau à sa maîtresse Madame Du Barry. Les joailliers Boehmer et Bassanges, qui travaillaient pour de nombreuses cours d’Europe, ont voulu réaliser l’exceptionnel. Trop sûrs d’eux, ils commencèrent à chercher et acheter, sur leurs propres deniers, les pierres les plus extraordinaires. Néanmoins, le bijou était complexe et les pierres de cette qualité difficiles à trouver. Entre temps, Louis XV meurt en 1774 et la Du Barry est chassée de la cour. Le fameux collier ne sera terminé qu’en 1778, mais les joailliers n’ont plus de clients ayant les moyens et souhaitant l’acheter… Ce prodigieux bijou a été dépecé et les pierres vendues pour des sommes ridicules à des joailliers anglais dont William Gray, qui a documenté un grand nombre de ces diamants.

Le marquisat d’Anglesey, une noble et ancienne famille britannique

Le collier de Lady Anglesey s’est transmis de génération en génération jusqu’en 1976. Il a vu deux couronnements durant le XXe siècle. Celui du roi George VI (père d’Elizabeth II) en 1937, où Marjorie Paget, la marquise d’Anglesey de l’époque, l’a porté avec panache. En 1953, pour le couronnement d’Elizabeth II, ce sera sa belle-fille, la 7e marquise, qui sera photographiée avec ce bijou fantastique. Henry Manners, le père de la 6e marquise, Marjorie Paget, a commencé à lâcher quelques indiscrétions invérifiables sur l’origine des diamants qui proviendraient, partiellement ou totalement, du fameux «collier de la reine». C’est cela qui agite actuellement le monde des gemmes! Ces pierres auraient pu appartenir à Marie-Antoinette si celle-ci avait accepté le cadeau qu’aurait voulu lui faire le Roi. Avec des «si», on met Paris en bouteille!

Ce bijou est une «rock star»!

Avant d’être vendu à Genève à un prix estimé au moins entre 1,8 et 2,8 millions de dollars, ce joyau va accomplir une tournée mondiale digne d’une rock star: Londres, Hong Kong, New-York, Singapour, Taipei et Dubaï.

Et pour terminer, quelques mot d’Andres White Correal de chez Sotheby’s: «Cet exceptionnel bijou en diamants est un splendide témoin de la vie opulente à la cour pendant l’ère géorgienne; faste et splendeur inégalés. (…) Il représente une fortune en diamants, mais aussi une «masterclass» en matière de design, savoir-faire et d’innovation technique pour l’époque. Ce bijou est aussi remarquable, séduisant et attrayant aujourd’hui que lorsqu’il a été fabriqué, il y a plus de deux siècles».

Catherine De Vincenti

**    À propos du scandale du «collier de la reine», regarder les vidéos de Collectissim sur Youtube: «L’extraordinaire affaire du Collier de la Reine Marie-Antoinette»; et pour découvrir la rocambolesque histoire des bijoux volés de la comtesse Du Barry: «Le vol des bijoux de Madame Du Barry: Enquête en pleine Révolution française».

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