La chic place Vendôme, à Paris, est, de nos jours, principalement investie par de grands joailliers dont certains comme Boucheron sont arrivés antérieurement (1893) ou peu de temps après que le Suisse César Ritz n’y développe son fameux palace (1898). Parmi ces grandes signatures, Chaumet, installé en 1902, après Cartier (1899) mais avant Van Cleef & Arpels (1906) est surtout connu pour ses diadèmes et tiares dont elle a fait collection. Avec des hauts et des bas, la maison s’est maintenue et vient d’inaugurer une nouvelle exposition intitulée «Un âge d’or: 1965-1985».
Lorsque l’on parle de haute joaillerie ou de joaillerie tout court, on ne pense pas immédiatement aux années 1965 à 1985 comme à une période d’avant-garde et de folie. On a bien tort ! Ces années d’après-guerre sont celles de l’émergence d’une classe moyenne avec des finances plus importantes. C’est également l’époque où les jeunes deviennent une catégorie socio-économique qui va compter. Quelques années encore et ce sera Mai 1968, la cocote minute qui implose pour plus de liberté, de loisirs et d’individualité.
L’époque où la clientèle des grandes maisons se composait de la noblesse de Cour, de l’aristocratie ou de Maharajahs en goguette a été balayée par deux guerres mondiales. Pour survivre, il a fallu de l’inventivité et de nouvelles méthodes de travail pour les grands noms de la joaillerie. Dès le tout début des années 1950, Cartier a vu la nécessité d’adapter ses produits à une clientèle plus commune et américaine. C’est la grande époque des briquets et autres babioles en grandes séries que l’on trouvait dans n’importe quel kiosque. Ce fut exagéré mais la marque finira par se reprendre pour devenir ce qu’elle a su rester aujourd’hui, une maison inventive et haut-de-gamme. Van Cleef & Arpels sentira, une des toutes premières, l’importance de la jeunesse et créera sur la place Vendôme, en 1954, La Boutique mettant en valeur des pièces plus accessibles et très différentes de ce qu’elle aurait présenté aux mères de ces jeunes femmes. En 1968, la collection Alhambra était prête à aborder les jeunes. Une «ambassadrice», même si cette notion n’existait pas encore à l’époque, avait été choisie: Françoise Hardy. Puis arriva le joli mois de Mai et tout fut différé jusqu’au début des années 70.
Les années 70 chez Chaumet
Le 17 juin 1970, Jacques et Pierre Chaumet ouvrent, au 12 place Vendôme, une boutique nommée L’Arcade qui tient un peu du concept-store avant l’heure. L’écrin est moderniste et, comme le disait la publicité de l’époque, on y trouvait «des bijoux qui avaient quelque chose à dire». La façade en aluminium anodisé choquait un peu au cœur de l’harmonieuse place dessinée par Jules-Hardouin Mansart. Mais l’intérieur était assez révolutionnaire. Tous les meubles et vitrines étaient sur roulettes et, ainsi, la mise en scène pouvait être rapidement modifiée. Les vendeuses étaient en uniforme signé Nina Ricci et portaient les bijoux que l’on pouvait acquérir. Néanmoins, ce sont les créations qui attiraient l’œil, réinventant le travail du métal, souvent en coulure, façon écorce, martelé, poli avec des méthodes expérimentales qui se caractériseront, jusqu’à nos jours, par le nom «d’or sauvage».
Le diamant investissement
Si les années 70 sont les années des chocs pétroliers, elles sont aussi celles du diamant-investissement. De nombreuses officines n’ayant aucune connaissance sur cette gemme mais attachées à faire de l’argent facile se lancent dans les pierres dites «d’investissement». Tout finira par s’effondrer et les «investisseurs» n’auront que leurs yeux pour pleurer. Les frères Chaumet attirés, comme les autres et forts de leur bonne réputation sur la place Vendôme, vont également se lancer dans ces dangereuses transactions. Cela les entraînera à faire de la «cavalerie» et, finalement, après avoir créé un scandale qui a failli faire sauter la 5e République et de nombreux politiciens et/ou ministres, les amènera, en 1987, à la faillite frauduleuse et à la prison. Rachetée pour une bouchée de pain par Investcorp, cette dernière au vu des dettes abyssales bien plus importantes que prévu, jettera l’éponge et c’est LVMH, en 1999, qui relèvera la marque et sa réputation, au cours des années.
Les bijoux «free-form»
Durant la vingtaine d’années faisant l’objet de l’exposition, la bijouterie se vit presque totalement en or jaune. La matière précieuse bénéficie du développement de la technique du «casting» permettant de réaliser des bijoux en série. L’or se texture, se déforme, «s’ensauvage» mais, d’un autre côté, les bijoux se mettent en couleur grâce aux pierres ornementales oubliées depuis l’Art Déco: le corail, la turquoise, le lapis lazuli, l’œil-de-tigre, l’onyx, etc. Chaumet comme Van Cleef & Arpels utilisent ces matières considérées, à tort, comme moins nobles mais tellement plus éclatantes. Les formes et les tailles de ces pierres redeviennent volumineuses, géométriques, s’opposent et, en définitive, s’harmonisent parfaitement. C’est le «free form»!
Les «magiciens»
Marketing et publicité ne peuvent rien dans notre monde de bijoux si le style et les idées ne sont pas présentes. Et les idées, ce sont les créateurs, les designers qui les ont ! Pour ces deux décennies deux «magiciens» produisent des pièces exceptionnelles: René Morin et Pierre Sterlé. Morin a à peine 30 ans quand Marcel Chaumet le distingue, en 1962, et le nomme responsable de la création. Bien que bijoutier-joaillier, il est très attiré par la sculpture et vit entouré d’artistes. Pierre Sterlé a déjà travaillé pour Chaumet sans faire partie de la maison. C’est un joaillier reconnu qui a reçu plusieurs «diamond awards». Les deux dernières années de sa vie (1976-1978), il les consacrera entièrement à Chaumet, privilégiant davantage le travail de la ligne. Tous deux ont marqué le style, non seulement de la maison, mais de leur époque.
Cette installation étonnante trouve parfaitement sa place dans les salons de l’adresse patrimoniale. Passionnante, elle présente de nombreuses œuvres inédites qui sont exposées pour la première fois. L’ambiance est donnée par du mobilier de Paulin dans lequel ont vécu le président Pompidou et son épouse, avec des tapisseries de Vasarely, des silhouettes de Dior et de Paco Rabane, le couturier du métal. Imaginée par l’historienne de la joaillerie, Vanessa Cron, française vivant à Genève, elle vaut vraiment le déplacement. Un mois, c’est presque trop court …!
Catherine De Vincenti