Jusqu’au 14 février, il est une exposition, au cœur de Paris, à l’Ecole des Arts Joailliers (avec le soutien de Van Cleef & Arpels), bien différente de celles que l’on va admirer habituellement lorsque l’on aime bijoux et gemmes. Il s’agit de dessins de bijoux mis en scène comme de réels joyaux. Provenant du Fonds Van Cleef & Arpels sur la Culture Joaillère, qui comprend une collection d’art graphique exceptionnelle, elle est présentée pour la première fois au grand public.
Naïvement, le Petit Prince de Saint-Exupéry aurait pu demander: «Dis! Dessine-moi un bijou …» Eh bien! Ce n’est pas si simple. Il faut trouver l’inspiration, l’idée, la retranscrire sur un support qui ne se délite pas immédiatement, sur lequel on puisse avoir des «repentirs» comme disent les peintres. Il faut ensuite montrer les volumes, les creux et les reliefs. Si le dessinateur est bijoutier-joaillier, c’est mieux, car il faut penser à l’exécution, à ce qui peut se faire et non pas à ce que l’on rêve. Cela a probablement été plus facile pour le sculpteur Benvenuto Cellini ou le peintre Sandro Botticelli qui, avant de faire carrière sur les cimaises, ont, tous deux, été orfèvres. Néanmoins, de très grands peintres, sans ce solide bagage de base, ont dessiné des bijoux « magiques » au cœur de leur œuvre peint, tels Ghirlandaio, Léonard de Vinci ou Holbein.
Qu’est-ce qu’un dessin de bijou?
Les dessinateurs des XVIe au XVIIe siècle doivent composer avec des pierres déjà facettées, en général hors de France où s’était développé l’art de la taille. Il faudra attendre un long XIXe siècle, débutant dans les années 1770 et s’achevant avec la Première Guerre mondiale, pour voir les esquisses de simples montures enchâssant des pierres, se transformer en de magnifiques joyaux sur des thèmes inspirés. Quoi qu’il en soit, l’important est que l’échelle soit à 1 pour que la cliente et l’atelier puissent se faire la meilleure idée possible de ce que sera la pièce. Sans le dessin de bijou, restera toujours la fameuse question que pose celui qui a l’idée à celui qui la réalise: «Tu vois ce que j’entends?»
Le choix du support
Beaucoup d’œuvres d’art dessinées sur parchemin, papier vélin ou papier « chiffon » (avec pâte de coton) étaient trop fragiles pour survivre. Certains créateurs comme René Lalique, que l’on peut considérer comme le premier dessinateur free-lance, choisissaient avec soin leur support. Il avait sélectionné, chez Blanchet Frères et Kléber, en Isère, un papier ocre enduit à l’huile de lin qui le rendait plus transparent et imperméable. Les calques vont révolutionner la vie des artistes car le matériau diffracte la lumière et permet des corrections. Il autorise également la superposition de certains décors ou pierres de couleur qui montrent ainsi le bijou sous des aspects multiples.
Du dessin au catalogue
Nombre de ces croquis ne possèdent aucune annotation, sont rarement monogrammés ou signés. Certains montrent des numéros, en haut à droite, qui font penser que l’on s’en servait comme des pages d’un catalogue. Chez Alexandre Brédillard, par exemple, le choix du papier cartonné permettait de multiples manipulations. Des chiffres et des lettres-code, en bas, représentent de discrets prix d’achat et de vente, illisibles pour la clientèle. Lalique, par exemple, donnait beaucoup d’informations sur le dessin même, concernant les couleurs, les reliefs, les matières, etc. Véritable outil technique, les dessins joailliers servent également aux ateliers pour présenter leurs idées avant la fabrication.
Cette formidable exposition met en évidence les coulisses du travail de la joaillerie. Après quelques rares présentations au Musée des Arts Décoratifs de Paris ou au Musée de la Piscine de Roubaix, celle de l’Ecole des Arts Joailliers est, sans conteste, la plus élaborée et celle qui fait vraiment rêver grâce à une scénographie exceptionnelle.
Catherine De Vincenti
lecolevancleefarpels.com/fr/en
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