Incursion dans le dernier ouvrage de Sylvian Aubry, à la découverte des mécanismes horlogers les plus complexes. En collaboration avec 34 ingénieurs et 20 entreprises, il offre une compréhension unique de leur fonctionnement, de leur histoire et définition. Interview.
Elles sont la quintessence de l’art horloger, font la réputation de la Suisse, sont apprivoisées et réinterprétées par les plus grands noms et insufflent ce supplément d’âme à tout garde-temps. Les complications ont ce je-ne-sais-quoi qui fascine. Sylvian Aubry est de ceux qui non seulement partagent cet enthousiasme, mais les défie. Ce professeur du Centre de formation professionnelle neuchâtelois (CPNE), auteur de la Fédération des écoles techniques (FET) et crack de l’horlogerie a déjà mouillé sa chemise pour trois ouvrages: «La théorie des échappements», «Le pivotage» et «Le réglage». Il présente aujourd’hui «La théorie des montres compliquées», le graal pour tout horloger et passionné.
Mais avant même de penser complication, il faut définir ce concept galvaudé. L’acception traditionnelle parle de tout ce qui couvre les indications supplémentaires à l’affichage des heures, minutes et secondes. Mais alors quid des tourbillons et des répétitions minutes? Avec ses acolytes enseignants au CPNE, Pascal Landwerlin et Sylvain Varone, ils parviennent à cet énoncé: une montre est dite compliquée lorsqu’un ou des mécanismes lui permettent a) de donner des informations autres, b) de façon plus précise, c) d’une autre manière que l’heure et ses divisions (heure, minute et seconde) sur un cadran avec des aiguilles et d) lorsqu’un ou des mécanismes rendent son utilisation plus confortable.
Cette première base, réalisée sans l’implication directe des marques pour garder une vision claire et indépendante, a rapidement été talonnée par le besoin de définir des catégories. Indications acoustiques, indications astronomiques, mécanismes pour la précision de marche, mesure des temps courts, mécanisme pour le confort d’utilisation et mécanismes indépendants sont décidés. Il a fallu ensuite structurer les explications, créer des dessins, des coupes, rédiger des définitions, concevoir un historique. Un travail monumental…
Gold’Or: Avez-vous douté en prenant ce mandat?
Sylvian Aubry: Même si j’avais initialement soufflé l’idée à Paul-André Hartmann, alors président de la FET, je me suis lancé dans le projet craignant de ne jamais y arriver. La carte blanche me pesait. J’ai surtout cherché à me concentrer sur mes besoins en tant qu’enseignant, car tout cela est fait pour la formation professionnelle.
Vous avez travaillé sur ce projet pendant plusieurs années, comment avez-vous organisé votre temps?
Je travaillais à 50 pour cent comme enseignant au CPNE et à 50 pour cent sur l’ouvrage pour la FET. Pour le livre, généralement, quatre projets étaient menés en parallèle avec les marques. Cette organisation a généré une charge mentale importante. Donc la gestion du temps s’est avérée primordiale.
Le projet implique 20 entreprises partenaires et 34 ingénieurs/constructeurs. Comment s’est déroulée cette collaboration?
Très bien! Les grands noms, comme les plus petits, ont participé avec fierté pour laisser une trace dans l’histoire horlogère, preuve de leur engagement envers la formation professionnelle. Plus concrètement, j’avais clairement précisé mes intentions dès le départ avec une charte pour les constructeurs.
Comment fait-on pour expliquer un mouvement horloger sur du papier glacé?
C’est un véritable défi. Il est essentiel de décomposer le processus en étapes claires et successives. Cela a nécessité beaucoup de travail de la part des constructeurs, car j’ai insisté pour obtenir toutes les vues et toutes les étapes nécessaires. C’est cette précision qui permet de retranscrire fidèlement le fonctionnement complexe des mécanismes horlogers.
En plus de la classification, vous avez créé un historique par catégorie.
Oui, Pascal Landwerlin, collègue passionné d’histoire, a joué un rôle clé dans ce projet. Il a mis en lumière le contexte historique et technique des montres, en présentant leur origine géographique, leur utilité, leur évolution et les inventeurs impliqués. On parle souvent d’un inventeur unique, mais en réalité, il y a toujours des inventeurs. Je trouvais important de montrer cette dimension collaborative entre techniciens, constructeurs, prototypistes et ingénieurs.
Est-ce qu’avec votre expérience, une complication peut encore vous surprendre?
Le réveil de Patek Philippe, avec son alarme double fuseau horaire, est un mécanisme unique que je n’avais jamais vu. L’une des particularités de ce réveil est qu’il ne peut pas sonner si le barillet n’est pas suffisamment chargé. Il y a une came associée au barillet qui informe le mécanisme du niveau de charge du ressort. Sa conception sera peut-être complexe à comprendre dans quelques dizaines d’années, notamment pour les futurs restaurateurs en horlogerie ancienne.
Votre ouvrage livre-t-il de nombreux secrets horlogers?
On apprend beaucoup sur le fonctionnement de multiples mécanismes horlogers. Cependant, nous n’avons pas accès aux secrets des ajustements, des dimensionnements, des matériaux, ce qui explique aussi pourquoi les marques ont accepté de livrer autant de précisions et de dessins. Pour une montre compliquée, les choses sont bien plus subtiles…
Il ne suffit pas de la reproduire pour en comprendre toute la complexité…
La subtilité des mécanismes horlogers réside dans la taille minuscule des composants, rendant leur observation et leur mesure complexe. Les recherches sur l’oscillateur, menées par des ingénieurs et écoles polytechniques, restent un défi constant, souvent guidé par tâtonnements. On voit d’ailleurs que certains détails, comme un simple trou, sont reproduits tels quels sans plus de réflexion, preuve que leur utilité n’est toujours pas comprise. Sans parler des matériaux, qui restent une énigme. Enfin, la précision des ajustements et micro-assemblages montre qu’avoir la forme d’une pièce ne suffit pas pour la reproduire. Les secrets de fabrication demeurent ainsi bien gardés.
Quelle sera la prochaine étape pour vous après cet ouvrage?
Je trouve qu’il serait intéressant de me pencher plus spécifiquement sur les réveils et les chronographes.
Nicole Kate