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René Lalique, l’inventeur du bijou moderne

Et là, je vous vois étonnés! Lalique, ce verrier dont les vases, au fini mat, sont décorés de roses, d’oiseaux ou de sylphides, ce créateur de flacons à parfum et de bouchons de radiateurs de voitures, ce Lalique serait l’inventeur du «bijou moderne»? C’est sans difficulté, et avec de splendides exemples, que le Musée Lalique de Wingen-sur-Moder, en Alsace, vous contera l’histoire de René-Jules Lalique, né en 1860, l’un des plus grands bijoutiers de l’Art Nouveau avant de bifurquer sur le verre et devenir l’un des meilleurs représentants de l’Art Déco.

 «Si j’avais vécu au tout début du XXe siècle», s’enthousiasme Claudine, gemmologue et historienne du bijou, «j’aurais squatté le paillasson de René Lalique comme une groupie, pour le voir, le toucher et lui demander un autographe. Les créations de Lalique sont une parenthèse enchantée dans l’histoire du bijou entre la fin du XIXe siècle, environ 1880, et le tout début du XXe. Je déteste le parfumeur François Coty qui, dès 1907, a détourné le plus grand bijoutier de la période pour en faire un créateur de flacons à parfum et un verrier Art Déco».

Que disent les critiques d’art de l’époque

En fait, Claudine dit avec un humour contemporain ce que Henri Clouzot (1865-1941), journaliste, critique d’art, qui fut également conservateur de la Bibliothèque Forney puis du musée Galliera, exprimait avec grâce: «René Lalique a eu le don de faire passer sur le monde un frisson de beauté nouvelle. (…) Bouleversant toutes les traditions, il réhabilita les modestes pierres jusque-là dédaignées, corindon, onyx et sardoines, jades, agates et cornalines, jaspes, coraux et opales». Et il ajoutait, quelque peu visionnaire: «(…) la valeur intrinsèque des matières s’effaçait  devant l’excellence du travail  artistique, l’effort d’imagination créatrice. Toutes les formes de la nature prirent part dans un écrin panthéiste, les fleurs, les fruits, les insectes, les oiseaux, les poissons, les reptiles. Mais il les recréa pour les adapter à la technique du bijou, ce que ne sauront pas – ou ne pourront pas faire – la légion de suiveurs que son art génial lui suscitera dans les deux mondes. La joaillerie reprendra bientôt tous ses droits». Tout est dit!

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Bague typiquement Art Nouveau, en or et émail dans les tons pastel et bleu représentant une femme embrassant une fleur de lys. Le travail et la sculpture priment sur la valeur des pierres. Photo: Coll. Musée Lalique, K. Faby


L’importance du dessin

Lalique fut avant tout, et depuis l’enfance, un grand dessinateur. Il croquait sur le vif la nature qui l’entourait. A seize ans, sa mère étant veuve, elle le mit en apprentissage chez un excellent bijoutier, Louis Aucoc. Durant toute sa carrière, ses talents de dessinateur, son amour des détails, qu’il tient de l’observation scrupuleuse de tout ce qui est vivant, nourrira son imaginaire de créateur. Et comme le soulignait un autre critique, Emile Sedeyn, «C’est ainsi que le génie, tout en créant de l’éternel, s’amuse à faire de l’actualité».

La Belle Epoque!

La Belle Epoque, qui fut courte comme tout ce qui est bon, s’est étendue, en France, sur le dernier quart du XIXe siècle et le début du XXe (env. 1871-1914). Période de paix, de prospérité et de progrès, elle se termine dans le fracas de la première guerre mondiale. C’est durant cet épisode de presque tranquillité que s’est développé le mouvement artistique de l’Art Nouveau. On envoie tout ce qui est conventionnel par-dessus les moulins, on veut autre chose, plus de légèreté, plus d’insouciance et de souplesse. C’est le temps de la Femme et de sa longue chevelure, de sa silhouette dessinées par les couturiers Charles-Fréderic Worth (dont les Français ne savent jamais comment prononcer le patronyme), Jacques Doucet ou Paul Poiret, qui la libèrera du corset. La mode est aux accessoires dont, malheureusement, on a depuis perdu l’utilité. Epingles à cheveux ou à chapeaux, fort utiles pour se défendre des hommes avant #metoo, peignes, boucles de ceinture, faces à mains, pour les femmes. Boutons de manchettes, épingle à cravate, montre à chaînette ou canne à pommeau sculpté, pour les hommes. Ces bijoux n’ont que faire de pierres précieuses dégoulinantes, c’est le style qui compte, le style nouveau.

L’exposition universelle de 1900

L’homme de lettres et critique d’art Roger Marx (1859-1913) qualifiait Lalique de «statuaire du bijou [qui] donne à la glyptique les fiers accents de la grande sculpture». C’est vrai! Le stand de Lalique à l’Exposition universelle de 1900 est ceint de panneaux représentant des femmes nues, une nouveauté un peu choquante et qui n’avait plus eu cours depuis la Renaissance. L’artiste reçu de nombreux prix et médailles durant cette exhibition et se battit à coup de magnifiques orchidées émaillées avec l’américain Tiffany. Qui fut le meilleur?

L’émail et Madame Lalique

Voilà l’émail qui entre en lice! Fichu émail qui fera de Lalique, non pas un émailleur de génie (ce qu’il fut!), mais un verrier d’exception. Le verre, toujours le verre ! Les émaux mettront de la couleur dans la vie de l’artiste et dans la nôtre. Il aime cette matière, s’achète un four, puis un plus grand, se marie, déménage et, au fur et à mesure que son appartement s’agrandit, il achète un four plus grand. Ayons donc une pensée émue pour Augustine-Alice Ledru, son épouse, qui a toujours dû partager son appartement avec un four pour l’émaillage ! Dès 1890, il développe ses expériences et réalisations dans le domaine du verre. Alors que beaucoup de bijoutiers en sont encore à fabriquer du néo Louis XVI ou du néo-Empire, Lalique est déjà dans l’Art Nouveau. Il représente, par exemple, un magnifique coq fixé sur un peigne. Habituellement, les peignes étaient réalisés en écaille de tortue. Pour Lalique, c’était encore trop ostentatoire. Il enfilait des bottes et allait se servir dans les abattoirs de cornes des bovins assassinés.

Un touche-à-tout

Lalique n’est ni un bijoutier, ni un émailleur, ni un as de la glyptique, ni un architecte mais il est tout cela à la fois. Il a dessiné les plans de son immeuble, 40 cours Albert 1er à Paris (8e), ainsi que toute l’ornementation en pierre et en fer forgé sur le thème du pin. Il a réalisé des papiers peints, des foulards, des meubles et mille  autres objets. C’était un véritable touche-à-tout. Et puis un jour, le verre est devenu partie intégrante de toutes ses compositions. Fini l’or, l’argent, les perles et les pierres fines, Coty le détourne du droit chemin des bijoutiers. Il ne fera plus de bijoux! Le verre l’a happé. En 1919, il est à la recherche d’un lieu approprié à la production d’objets en verre et s’installe à Wingen-sur Moder. Il collaborera à la décoration de paquebots (Paris, Ile de France, Normandie), de trains (Orient Express), de vitraux d’églises, etc. En 1935, il quitte la place Vendôme pour installer une nouvelle boutique au 11, rue Royale, toujours à Paris. En 1940, son usine de Wingen-sur-Moder est mise sous séquestre par l’armée allemande et on y fabriqua des pansements. Lalique mourra, à Paris, le 1er mai 1945, quelques jours avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, sans avoir vu son usine libérée.

«Avant René Lalique, qu’était le bijou? Une parure, évidemment; mais surtout un luxe brutal, une ostentation de fortune. Les chefs-d’œuvre de ses devanciers, tout bâtis de l’éclat du diamant, semblaient de portatifs châteaux de lumière (…). L’ancien bijou était fondé sur l’idée de richesse; le nouveau sur un principe d’art», Gustave Kahn (1859-1936), poète symboliste et critique d’art français.

Catherine De Vincenti

musee-lalique.com

 

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