Le 28 décembre dernier, une terrible nouvelle frappait le monde de la bijouterie internationale. Le lapidaire allemand Tom Munsteiner, cinquante-quatre ans, venait de mourir subitement. Retour sur une famille d’artisans qui a révolutionné l’art de la taille de la pierre de couleur aux XXe et XXIe siècles.
Celui qui aimait à dire: «Je vois la pierre brute comme une toile» s’en est allé soudainement, dans la force de l’âge, alors qu’il avait encore beaucoup à donner à son métier. Sa moustache en «barre» et son rire musclé resteront dans le souvenir de tous ceux qui l’ont croisé. Toute la profession est en pensée avec ses parents Bernd et Hanne, sa femme Jutta et son fils Philipp.
Une famille de lapidaires surdoués
Bernd Munsteiner, né en 1943, a été qualifié de «Picasso» des pierres précieuses car il est le père de ce que l’on a nommé la taille «fantaisie». Il a expérimenté une découpe de la pierre plus proche de la sculpture, avec des faces plutôt que des facettes, des angles, des décrochements et une asymétrie voulue. Bernd a atteint un large public grâce à cette approche peu conventionnelle et a rapidement obtenu une reconnaissance internationale, comme en témoignent les nombreux prix qu’il a remportés. En 1993, il s’est attelé, à la taille d’un immense brut d’aigue-marine à la couleur époustouflante, ramené par son fils Tom. Il l’a étudié durant quatre mois avant de mettre six mois à le sculpter, par l’arrière, sous la forme d’un obélisque. Haute de 35 cm, cette véritable œuvre d’art pèse 10’363 carats. La pièce intitulée « Dom Pedro » est visible désormais au National Museum of Natural History à Washington. Si son fils a été son apprenti, de nombreux autres lapidaires tels John Dyer (www.johndyergems.com) ou Michael Dyber (www.dyber.net) ont été inspirés par l’originalité de son travail.
«C’est incroyable!»
Pour s’être frotté à la taille, le bijoutier-joaillier Stephan Barben de Lutry (www.au13or.ch) a immédiatement été impressionné, à l’époque, par les pierres taillées par les Munsteiner, père et fils. «C’est véritablement un «style » propre et unique que ces deux-là ont créé», déclare-t-il. «Je n’ai jamais monté une de leurs pierres et ne les ai admirées que dans des expositions, mais c’est un travail exceptionnel. Auparavant, les lapidaires tentaient de sortir une belle pierre en perdant le moins de poids possible. Eux ont une tout autre philosophie. Le choix du brut est super important: la couleur, l’homogénéité et l’absence d’inclusions représentent déjà la moitié de leur tâche». Et il ajoute avec un petit sourire en coin: «Aujourd’hui une pierre inspirée par leur travail mais qui n’est pas d’eux, on l’appelle une ‹munsteiner›!».
Tom Munsteiner (1969-2023)
Grâce à sa formation aux techniques lapidaires traditionnelles auprès de son père, ainsi qu’à ses études d’art et de fabrication de bijoux à Pforzheim, la renommée de Tom Munsteiner n’a pas attendu le «nombre des années». Plusieurs fois primé, lui aussi, il a commencé à former son fils Philipp alors que ce dernier n’était encore qu’un enfant. Avec sa femme Jutta, bijoutière, il a repris la direction de l’Atelier Munsteiner très jeune, et travaille dans la continuité du style de Bernd mais, parfois, avec plus de rondeur et de douceur. La taille se fait toujours par l’arrière et son monde minéral devient féérique. Si durant plusieurs décennies, les pierres taillées par l’Atelier Munsteiner furent vendues non serties, c’est moins le cas depuis que Jutta, bijoutière accomplie, dessine et réalise des pièces entourées de métal précieux. Tom a toujours considéré la pierre précieuse comme une œuvre d’art mais avec sa création «Visions in crystal», il a réalisé quelque chose d’extraordinaire: un mur entier de 2,10 mètres de hauteur, composé de 264 carreaux de cristal de roche, citrine et quartz fumé.
La cinquième génération de Munsteiner est prête, avec Philipp, à ajouter sa pierre à l’édifice! R.I.P Tom.
Catherine De Vincenti
