Le bestiaire joaillier des grandes maisons, essentiellement françaises et américaines, est extrêmement riche. Néanmoins, les oiseaux sur une branche, en buisson, stylisés ou tellement proches de la réalité qu’on les imagine prendre leur envol du revers de votre tailleur sont probablement surreprésentés. Grâce à la magnifique exposition intitulée «Paradis d’Oiseaux», organisée par l’Ecole des Arts joailliers avec le soutien de Van Cleef & Arpels et du Muséum d’Histoire Naturel de Paris, on pénètre dans une réserve ornithologique précieuse.
Depuis l’Antiquité, les hommes observent les oiseaux les associant aux Dieux et, parfois, au Diable. Athéna, la déesse grecque de la sagesse, de la stratégie militaire et des artisans, est représentée par une chouette. La chauve-souris, animal nocturne, qui se replie dans ses ailes pour dormir le jour, fait un peu peur et se trouve souvent associée au Malin. Selon les civilisations et les pays, une espèce peut passer de bénéfique à …un peu moins. Le paon, qui aura son heure de gloire au milieu du XIXe siècle, incarne dans la culture occidentale, la vanité, l’orgueil, le luxe. En Asie, son image est plus positive, associée à la beauté et à la noblesse. Durant les périodes de guerre comme, par exemple entre 1939 et 1945, les volatiles divers prennent du «grade». Le coq gaulois se fait l’emblème d’une France Libre et tricolore comme le rapace Pygargue américain à tête blanche représente les USA (avec les même couleurs: bleu, blanc et rouge) jusque sur les pièces de monnaie.
Intérêt scientifique et esthétique
Au milieu du XIXe siècle, les voyages se développent et permettent de découvrir toutes sortes d’oiseaux exotiques, tels que perroquets, paradisiers, grues ou paons. L’amélioration des techniques de l’estampe et particulièrement de la lithographie facilitent la reproduction d’images imprimées. Certains amateurs insèrent dans leurs cabinets de curiosité des oiseaux empaillés. L’oiseau offre un répertoire formel dans lequel les dessinateurs et les joailliers puisent avec bonheur. La beauté du vol de l’hirondelle ou de la grue, le plumage coloré et irisé des paons, l’attitude élégante du cou des cygnes se transformeront en bijoux chez Lalique, Janesich, Mellerio, le plus ancien joaillier de Paris, et bien d’autres.
L’emploi des pierres de couleur
Le plumage coloré et nuancé de la plupart des oiseaux permet aux grandes maisons de donner libre cours à la recherche de pierres précieuses autres que les «simples» rubis, saphirs, émeraudes ou diamants. La taille devient importante pour simuler l’effet tridimensionnel de l’animal. Le sertissage va également se perfectionner pour sublimer le plumage (serti «mystérieux» chez Van Cleef & Arpels). Si, depuis le Second Empire, les yeux du paon «font de l’œil» aux lapidaires tailleurs d’émeraudes, les oiseaux de Paradis de Van Cleef & Arpels réclament les plus beaux diamants, saphirs et rubis avec une unité de couleur parfaite. Mais c’est sans conteste Pierre Sterlé, (1905-1978), l’une des figures les plus novatrices de la joaillerie française du XXe siècle, qui, avec Mauboussin, utilisera la plus vaste panoplie de pierres de couleur à sa portée : pierres gravées, turquoise, saphir vert, labradorite, opale, rubellite, nacre, topaze, coquillage, corail, zoisite, etc… Inventeur de la technique du «cheveu d’ange» qui consiste à torsader des fils d’or à leur extrémité, il l’utilise, dès 1956, pour réaliser les ailes de ses célèbres broches-oiseaux.
Des variétés infinies d’oiseaux
L’exposition permet d’admirer de nombreuses pièces actuellement dans des collections particulières ainsi que des broches appartenant à la collection patrimoniale de VC&A. Plusieurs broches «paons» de la fin du XIXe siècle sont signées du français Gustave Baugrand, qu’Henri Vever nommait dans son livre sur la Bijouterie Française, «le Boucheron de son Temps». Sur ces pièces exceptionnelles figurent des paons faisant la roue, reposant souvent sur leur œuf représenté par une grosse perle baroque. Associé aux meilleurs dessinateurs de son époque, Baugrand donne à la joaillerie du Second Empire une nouvelle impulsion colorée et endiamantée, au point que Napoléon III le nommera «joaillier de la Couronne». Un couple d’hirondelles, non signées, décorées d’émail blanc pour l’une et noir pour l’autre, rappelle que la technique de l’émail cloisonné avait été oubliée et que sa redécouverte, grâce à Christofle et à la manufacture de Sèvres, est essentielle pour coloriser des dégradés subtiles. L’humour n’est pas absent de cette volière joaillière et c’est avec étonnement que l’on découvre une oie couronnée faisant du ski (XIXe siècle) et même du saut à ski, dont une partie du plumage est formée d’une grosse perle baroque, de diamants et de saphirs.
De plume, d’or et de gemmes
L’un des somptueux oiseaux de Paradis appartenant à une collection particulière se termine par un magnifique panache de plumes naturelles dans un camaïeu de vert et de bleu-canard. Ornement de séduction et de pouvoir, ces plumes flottantes sont employées comme l’extension de la puissance aérienne du volatile. Il y a quelques années, on a fait semblant de redécouvrir les différentes techniques plumassières pour les cadrans de montres. Certains oiseaux de Paradis sont presque démesurés et leur panache «en trembler » les rend encore plus attractifs. Vers la fin du XVIIIe siècle, les ateliers parisiens montent une ou plusieurs parties du bijou sur des ressorts en spirale pour créer un mouvement. Bulgari produira entre 1950 et 1960 une époustouflante série de broches trembleuses stylisant bouquets, paniers ou gerbes de fleurs.
Oiseaux endiamantés, oiseaux des Iles, colorés, stylisés, célèbres comme le Flamant rose de Cartier ayant été créé pour la Duchesse de Windsor, ou simple petit passereau serti de petits diamants taille rose, ils volent tous dans la volière de l’Ecole des Arts joaillers jusqu’au 13 juillet, à Paris.
Catherine De Vincenti
www.lecolevancleefarpels.com/fr/news/exposition-paradis-doiseaux