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Les Millennials, une génération qui consomme différemment

Nés avec internet, ultra et omni-connectés, les 15 à 35 ans, plus important groupe de consommateurs de l’histoire, ne pensent, communiquent ni ne consomment comme leurs ainés. Un véritable casse-tête pour les marques, notamment horlogères.

Ils sont déjà 2,3 milliards, soit 32 pour cent de la population mondiale. Le cabinet de conseil Bain & Co prévoit même qu’à l’horizon 2025, lorsque les premiers entreront dans leurs années de fort pouvoir d’achat, ils représenteront 45 pour cent du marché total du luxe – certainement le plus important groupe de consommateurs de l’histoire. Encore faut-il savoir leur parler. Les séduire. Car ces Êtres particuliers pensent, communiquent et agissent comme nuls autres avant eux. Pour les comprendre, les marques – quelles qu’elles soient – doivent donc impérativement adapter leur approche marketing et apprendre leur langage. Un véritable changement de paradigme, dans lequel l’industrie horlogère a pris beaucoup de retard – et c’est un euphémisme. Aujourd’hui, la plupart des marques parlent à travers des canaux qu’elles connaissent peu, avec un langage qu’elles maitrisent mal. On comprend mieux pourquoi les patrons commencent à transpirer à l’évocation de ces étranges «individualistes-humanistes»: les Millennials.

Première génération mondialisée

Chaque génération possède ses particularités, issues de l’histoire ou de l’évolution sociale. Avec les Millennials cependant, ce concept sociologique passe un cap: pour la première fois en effet, une catégorie démographique se définit fondamentalement par une révolution technologique. Nés à l’aube de ce millénaire (entre 1980 et 2000 environ), ceux que l’on appelle également les «digital natives» baignent dans un monde mobile et connecté depuis leur premier jour. Une caractéristique qui n’a l’air de rien, mais qui a profondément modifié leur rapport à l’espace, au temps ou encore à la consommation. Auteurs du livre «La génération Y et le luxe» (Ed. Dunod, 2014), Grégory Casper et Eric Briones écrivent d’eux: «C’est la première génération mondialisée».

S’il est évidemment difficile de brosser un portrait très net de cette jeune nation du web, les nombreuses enquêtes marketing et études sociologiques menées ces dernières années ont mis en évidence quelques tendances lourdes: les Millennials se caractérisent ainsi par un niveau d’éducation historiquement élevé, comparativement aux générations précédentes. Des diplômes qui ne leur garantissent cependant plus l’accès automatique à l’emploi, comme ce fut le cas pour leurs baby-boomers de grands-parents. Une situation qui certes les fragilise financièrement au début de leur vie d’adultes, sans pour autant les retenir dans leurs envies d’expériences: Uber, Airbnb, Drivy ou encore BlaBlaCar sont quelques-unes des inventions créées par eux, pour eux.

L’humour comme leitmotiv

Mais si elle est motivée par des contingences pécuniaires, cette culture du partage répond aussi à des préoccupations plus profondes. Ultra et omni-connectés, donc bien informés même s’ils ne consomment plus les médias traditionnels, les 15 à 35 ans sont parfaitement conscients des enjeux qui attendent la planète, trop longtemps éludés par leurs parents: réchauffement climatique, abandon du nucléaire, vieillissement de la population ou épuisement des ressources naturelles – pour ne mentionner que quelques exemples. Autant de difficultés qui les préoccupent et les poussent à remettre en cause le monde dont ils sont les héritiers. En découle un esprit de méfiance, voire de défiance, à l’égard de leurs aînés, aussi bien dans la société que dans l’entreprise. «Une posture de hackeur», résument Grégory Casper et Eric Briones.

Et pour parer à la morosité ambiante, les Millennials ont développé un véritable culte de l’humour. Ironique et irrévérencieux, il attaque tous les domaines de la vie et bouscule l’establishment. Un sens de la dérision qu’ils appliquent aussi bien à eux-mêmes qu’aux discours politiques par exemple. Ou aux marques: bombardés de publicités depuis leur plus tendre enfance, ils ont appris à porter un regard particulièrement acéré sur les messages marketing. Toute information est dûment vérifiée et sévèrement sanctionnée sur les réseaux sociaux en cas de mensonge. Des espaces virtuels qui mélangent d’ailleurs joyeusement consommation et relations sociales: les achats sont partagés pour susciter réactions, commentaires et critiques. Une manière d’interagir avec sa communauté, mais également de s’approprier les produits, à la recherche d’authenticité.

Immédiateté, expérience et partage

Car même si on les dit peu matérialistes, les Millennials aiment les marques. C’est leur manière de consommer qui diffère: vivant dans l’immédiateté, ils ne sont plus disposés à économiser des années pour un achat; plus lucides, ils refusent de payer cher pour un simple objet de prestige. Dans le cas de l’horlogerie, beaucoup se tournent alors vers le vintage.

Dans ce contexte, réinitialiser sa communication – et accessoirement adapter ses produits – apparaît comme une évidence pour le secteur du luxe. Car là où les baby-boomers accordaient une grande place au travail, au statut social et aux biens matériels, les Millennials préfèrent aujourd’hui l’immédiateté, l’expérience et le partage – des valeurs intrinsèques au monde digital dans lequel ils vivent depuis toujours. Mais la question, pour l’horlogerie, n’est pas de vendre sur Internet ou en boutique, d’apparaître sur Instagram ou dans un magazine, d’opposer la montre mécanique à la smartwatch. Elle est de séduire, de créer une connivence, de susciter l’adhésion.

Savoir s’exposer

Pour y parvenir, il ne suffit cependant pas d’utiliser d’anciens messages sur de nouveaux supports. Si la présence sur le web est évidemment importante, elle apparaît plus comme un prérequis, une manière d’établir un échange pour partager des idées, des valeurs, une philosophie.

En guise de marche à suivre pour éveiller l’intérêt du Millennial, Nielsen, leader mondial des études consommateurs, résume sous forme d’une pyramide de Maslow (de bas en haut): «Être accessible», «Retenir leur attention», «Leur ressembler», «Être crédible», «Les faire participer», «Enrichir leur vie sociale» et «Rendre le monde meilleur avec eux».

Dans l’horlogerie, les premiers pas sont timides. Nombreux sont encore les patrons à croire qu’il suffit de balancer sur Internet les images de leurs dernières soirées «people» pour soulever les passions. Bien plus complexe, la démarche expose les marques aux commentaires, à la critique, à la dérision. Aux bides aussi. Sont-elles seulement prêtes à cela?

Fabrice Eschmann

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