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Les femmes artistes sortent de l’ombre!

Au sortir des confinements, les musées regorgent d’expositions. Certaines restent très monde «d’avant» et d’autres veulent casser les codes pour nous initier à celui «d’après». Celle du Centre Pompidou de Paris appartient à la seconde catégorie: un peu complexe voire légèrement obtuse. Intitulée «Elles font l’abstraction», elle présente, à travers un choix de six artistes et de plus de 500 œuvres des XIXe et XXe siècles, des femmes qui ont manqué de visibilité et de reconnaissance.

C’est donc, pour la plupart d’entre nous, la découverte de femmes invisibilisées dans le vaste langage de l’art plastique, au-delà de la peinture, soit des spirites, des sculptrices, des danseuses, des photographes, et j’en passe et des meilleures. Et dans la bijouterie et la création joaillière? Un après-midi de colloque parisien avec l’auteure de plusieurs livres sur les joailliers indépendants des XXe et XXIe siècles et amoureuse des bijoux, Juliet Weir – de la Rochefoucauld (FGA), américano-française, a révélé quelques noms importants, pratiquement tous inconnus ou très méconnus. Gold’Or vous donne l’opportunité de lire, enfin, leur patronyme.

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Wendy Ramshaw était une céramiste, bijoutière et sculptrice britannique. Ses bagues signature des années 70 sont dans de nombreuses collections publiques de musées ou de galeries d‘art. Entre des sortes de «baguiers» ou des instruments de musique, les bijoux représentés ici sont étonnants. Photo: The Guardian

Inspiratrices et influenceuses

Au début du XXe siècle, Art Nouveau, Arts & Crafts, Sécession, etc. ont fait éclater les codes et les femmes se sont infiltrées dans ces nouveaux mouvements artistiques. Beaucoup d’entre elles se sont formées dans des écoles d’art à des disciplines très variées, comme ce n’était pas encore à la mode. Louis Comfort Tiffany, qui préférait réaliser des lampes en verre coloré que des bijoux, a happé Julia Munson à la sortie de son école pour, un peu plus tard, en faire la directrice du département Bijoux. Sa réputation d’émailleuse et de spécialiste du filigrane se développera encore jusqu’à ce qu’elle quitte Tiffany’s, en 1912. La connaissiez-vous? Une autre émailleuse de haut vol Marie Zimmermann, dans les années 1920 – 1930, avait débuté comme peintre. Très inspirée par les civilisations anciennes, elle devint une magnifique coloriste en tant que bijoutière, jouant avec les pierres de couleur. «Je ne suis qu’un artisan qui peut tout faire, de la tiare à la pierre tombale», aimait-elle à dire. La connaissiez-vous?

Fabergé donna sa chance à quelques rares femmes

Avant-gardiste, Fabergé permit à ses Maîtres d’œuvre de signer de leurs noms, à ses côtés, leurs réalisations. Alma Pihl, qui avait la chance d’avoir un tonton orfèvre dans la Maison, était une excellente dessinatrice. On lui demanda de créer quelques bijoux pas très chers. Une collection en cristal de roche sur le thème du givre vit ainsi le jour. C’est elle qui dessina le fameux «œuf d’hiver» (1913) en cristal de roche et sa ravissante surprise, un panier d’edelweiss. Cet œuf est resté longtemps le plus cher des œufs de Fabergé, vendu 10,7 millions d’euros, en 2002, chez Christie’s à New-York. Partie en Finlande en 1921, elle n’a plus jamais parlé de sa période russe. La connaissiez-vous?

René Boivin, une histoire de femmes

Jeanne, la femme de René Boivin était également la sœur du grand couturier Paul Poiret. Ils aimaient travailler des pierres moins précieuses sous des formes et des volumes originaux. Après le décès, hélas trop jeune, de René Boivin, Jeanne reprit le flambeau. Elle engagea, en 1924, comme directrice artistique, une très jeune femme qui sortait des Beaux-arts de Besançon, pour créer des collections très novatrices. Elle se nommait Suzanne Belperron. Celle-là, vous la connaissez probablement.  «Je ne signe pas mes bijoux, mon style suffit!», clamait-elle. Mais Juliette Moutard ou Marie-Caroline de Brosses qui prirent sa suite jusque dans les années 1970, les connaissiez-vous?

Recécouverte de la granulation

C’est à Elisabeth Treskow, orfèvre allemande, que l’on doit la redécouverte d’une technique malencontreusement perdue, la granulation. A l’aide de colle de veau ou de poisson, Elisabeth retrouva comment fixer, à l’ancienne, de minuscules billes d’or sur un bijou. Elle gagna de nombreux prix à Milan, en 1936, à l’exposition universelle de Paris, en 1937, et pourtant plus personne ne se souvient d’elle. La connaissiez-vous? Probablement pas plus que Line Vautrin qui avait raflé de nombreux prix à Paris en 1937 et qui a marché du feu de dieu durant la Guerre, engageant dans son atelier une quarantaine de personnes. Elle disait réaliser un bijou par jour, durant cette époque. Beaucoup d’humour dans ses productions, jusque dans la signature, sous forme de rébus dessiné: LI Veau Train.

Des femmes enseignantes

Nombre de ces femmes furent des enseignantes hors pair, telles l’américaine Margaret Craver ou l’anglo-autrichienne Gerda Flöckinger. Mais celles-ci, vous ne les connaissez probablement pas! Par contre, si vous lisez le nom de Nanna Ditzel, est-ce que cela vous dit quelque chose? Probablement! … mais certainement pas pour son travail bijoutier sur l’ombres et la lumière. Par contre, les chaises «Œuf» et «Trinidad», inventées seule ou avec son mari, sont imprimées au fond de votre œil.

Les femmes qui ont travaillé à la notoriété de grandes marques

Dans le précédent numéro de Gold’Or, vous avez fait plus ample connaissance avec Elsa Peretti qui a fait sa fortune ainsi que celle de Tiffany’s avec des créations très sobres. Vivianna Torum Bülow-Hübe, qui se rêvait reine de patinage, a travaillé avec succès pour Georg Jensen, mettant en évidence l’équilibre, dans des bijoux inspirés de mobiles, ainsi que les fermoirs qui, disait-elle, «font partie du dessin». Jensen est resté un nom dans le monde de la bijouterie mais pas Vivianna.

La notoriété volatile des femmes

Marianne Ostier a été célèbre. Bien que d’origine autrichienne, elle a fait toute sa carrière aux USA. Ses bijoux sont incroyablement tridimensionnels, sertis de diamants, de perles et de pierres de couleur, très distinctifs des années 50 à 60. En tant qu’artiste-joaillière, elle a gagné cinq fois le très prestigieux «Diamond Award» et fut la première femme à intégrer la Diamond International Academy. Malheureusement, à sa disparition, l’entreprise cessa définitivement et, aujourd’hui, peu de jeunes créateurs connaissent encore son nom.

La liste qui précède n’est pas exhaustive. Heureusement, les temps changent. Aujourd’hui, les femmes dont les noms affolent les créateurs et les ventes aux enchères sont nombreuses. Et là encore, la liste n’est pas exhaustive: Bina Goenka, Lydia Courteille, Michelle Ong et sa marque «Carnet», Alexandra Mor, Sylvie Corbelin, Monique Péan, Cindy Chao, Neha Dani, Nathalie Castro (premier bijou avec un hologramme), Ana Khouri (unisexe), Luz Camino …

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