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Code41, la révolution communautaire

Depuis neuf ans, Code41 mène sa révolution horlogère, propulsée par une communauté avide d’une transparence totale, bousculant par-là même le Swiss Made. Mais le projet ne se contente pas de retoquer le label à la croix, il réinvente aussi la création, la commercialisation. Et remet en cause un système où le secret est devenu la norme.

Code41 voit le jour en 2016, en pleine crise horlogère. Claudio D’Amore, designer horloger, rejette le brief standard des maisons et le marketing de façade, et s’affranchit de sa situation pour créer une démarche. Il l’affirme: «Ce qui m’intéressait, ce n’était pas de créer une nouvelle montre, mais de comprendre ce qui se cache derrière. Je voulais de la transparence. Sur la fabrication, les détaillants, les coûts. De la belle mécanique et un dialogue en direct avec les personnes.» Le projet Code41 émerge, sans réseau, sans budget. Et sans faire l’unanimité dans le milieu. Pas découragé, le Lausannois insuffle à sa marque (un terme qu’il ne plébiscite pas) la référence du 41, un clin d’œil à l’erreur système 41 en informatique, élément non reconnu. D’ailleurs, ses premières créations scandent la dénomination «Anomaly». Le 41 est également un clin d’œil à l’Helvétie et à son sceau «Swiss Made» qu’il se plaît à chahuter en créant son propre label: TTO, transparence totale sur l’origine. Plus qu’un sigle, ces trois lettres incarnent sa volonté de lever le voile sur chaque étape de la production. Ainsi, l’origine de chaque composant et les circuits de production sont scrutés et dévoilés. Un choix qui défie le flou du traditionnel «Swiss Made» et ses 60 pour cent, que le designer estime encore trop méconnu.

C’est la communauté qui a le dernier mot

Au cœur de Code41, la communauté est protagoniste. Aujourd’hui, ils sont quelque 270’000 passionnés à recevoir régulièrement des mailings qui sollicitent leur avis, sans langue de bois. Dès la phase de conception, ils votent, commentent et orientent le design. Claudio D’Amore insiste sur l’importance de confronter ses idées avec l’extérieur, sollicitant trois à cinq avis sur une période de six mois avant de finaliser le produit. Tout est scruté: la forme de la boîte, le diamètre, le style ainsi que les complications sont soumis à la votation. Ce dialogue constant a conduit, par exemple, à l’ajout de la date sur le mouvement X41. Et il arrive que la direction plébiscitée doive être réorientée en raison de problèmes techniques inattendus, voire abandonnée, comme lors de la présentation d’un projet quartz qui n’a pas convaincu: la poignée de commandes a dû être annulée et le projet avorté. Les milliers de votes et commentaires de la communauté transforment donc chaque montre en une cocréation vivante, façonnée pour répondre exactement à leurs attentes.

Claudio D’Amore, fondateur de Code41.

Un modèle en évolution

La volonté d’avoir une mécanique haut de gamme a également conquis les suffrages dès le début. Ainsi, la marque a lancé pas moins de quatre mouvements maison: le trois aiguilles grande date X41 avec masse oscillante périphérique, le tourbillon T360, le chronographe NB24 et le Mecascape qui affiche un format unique au monde. De nombreux modèles squelettés ont été présentés les premières années, mais, depuis 2024, l’ambition de réinterpréter les classiques horlogers est bien présente, notamment avec une phase de lune et un régulateur dont les propriétés sont encore soumises au public.

Moon Inception, à 73 pour cent Swiss Made selon le label TTO.

À ses débuts, Code41 affichait une marge de 3,5, bien inférieure aux standards de l’industrie, généralement compris entre six et huit. Le directeur reconnaît toutefois qu’un ajustement vers une marge de cinq sera nécessaire pour s’adapter à l’évolution du modèle économique. En effet, historiquement, toutes les montres étaient disponibles exclusivement en précommande, afin d’éviter les stocks et d’optimiser les coûts. Depuis deux ans, environ 40 pour cent des modèles lancés sont stockés pour satisfaire à toutes les demandes et limiter le temps de livraison. Les nouveautés resteront proposées en précommande, une mesure nécessaire pour limiter les risques. De même, la stratégie 100 pour cent en ligne doit évoluer. Certains modèles nécessitent d’être essayés, comme le tourbillon, tandis que d’autres objets du temps, tels que le Mecascape, requièrent une prise en main. Pour y répondre, Code41 envisage des collaborations ciblées avec un mix entre partenaires et détaillants dans les grandes villes.

Le Tourbillon T360, fabriqué en titane grade 5. Photo: Code41.

À ce jour, la Suisse, la France, l’Allemagne et l’Angleterre représentent 70 pour cent des ventes. Cependant, un potentiel important subsiste sur d’autres marchés, notamment dans les pays nordiques, sans compter l’ambition affichée de conquérir des territoires stratégiques, comme les États-Unis ou l’Asie. Alors, en 2023, afin d’accompagner son développement et de préparer la prochaine phase de son expansion, la marque lausannoise a lancé une levée de fonds communautaire. Elle a une nouvelle fois exploité les possibilités offertes par le numérique, en recourant à la blockchain pour numériser ses bons de participation sous la forme de «tokens». En octobre 2024, la première levée de fonds se clôturait, atteignant 2,65 millions de francs. La seconde phase est désormais en cours, avec un objectif de financement fixé entre quatre et cinq millions de francs.

Le projet Mecascape, un format jusqu’ici inexploré.

Un modèle ou une exception?

À ce jour, Code41 demeure une exception dans l’univers horloger. Mais où se situera le secteur dans cinq ou dix ans? La marque parviendra-t-elle à préserver sa singularité ou la transparence qu’elle revendique deviendra-t-elle la norme, quitte à être perçue comme une contrainte ou une posture artificielle? Dans cet univers encore émergent, où l’expertise technique et les besoins réels dictent la stratégie marketing, et non l’inverse, l’avenir de la marque dépendra de sa capacité à maintenir l’intérêt de sa communauté une fois l’effet d’outsider dissipé. Sa pertinence reposera sur sa faculté à proposer des initiatives innovantes sans trahir ses principes fondateurs, tout en naviguant dans un marché en perpétuelle évolution.

Et cela, seul le temps nous le dira.

Nicole Kate

Photo: Modèle X41 dans la boîte Stratom

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