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Des années folles à l’Art déco: naissance d’un style incontournable

Il ne vous aura pas échappé que nous sommes en 2025! Nous célébrerons donc cette année le centenaire de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris, et la naissance d’une véritable révolution artistique qui influence encore aujourd’hui le monde du bijou: l’Art déco. De Paris à Bruxelles en passant par de nombreuses capitales, les expositions commémoratives vont se succéder. Nous aurons l’occasion d’y revenir avec bonheur.

Inaugurée le 28 avril 1925, entre le Grand Palais et les Invalides à Paris, l’Exposition internationale reflète le bouillonnement créatif d’une société d’après-guerre en pleine transformation. Après la Grande Guerre qui fit entre 15 et 20 millions de morts, la France et l’Europe ont souhaité oublier, reconstruire, ouvrir les fenêtres et respirer un autre air. L’Empire austro-hongrois s’était effondré comme un château de cartes et toutes les frontières de l’Europe centrale et orientale avaient été redessinées avec plus ou moins (plutôt moins) de bonheur. Deux décennies plus tard, on s’en mordra les doigts…

Affiche géométrique et colorée caractéristique du style Art déco. Elle a été créée par Robert Bonfils, un artiste et designer français. Elle est devenue une icône du style Art déco.

L’Art du nouveau siècle

À chaque génération, de nouvelles envies! Mais le monde tournait beaucoup moins vite qu’aujourd’hui, à la fin du XIXe et jusqu’au milieu du XXe siècle. Passer d’un style à l’autre prenait du temps. Finalement, un grand nombre de styles artistiques et décoratifs ont coexisté et se sont côtoyés, chacun apportant ses propres caractéristiques, influences et techniques nouvelles. Après les styles historiciste, éclectique, Arts & Crafts ou encore symboliste, l’histoire conserve le style Art nouveau pour fêter le siècle débutant. Fortement inspiré par le mouvement Arts & Crafts, initié par l’anglais William Morris, et le japonisme, l’Art nouveau prône un artisanat traditionnel et met l’accent sur la qualité des matériaux, même s’ils ne sont pas luxueux, et la valeur du travail manuel. La nature et la femme étouffent le monde du bijou en ce début de XXe siècle, l’enserrant dans des langueurs sensuelles, des pâleurs de fond d’étang et des pierres pas si précieuses que cela, mais souvent blêmes, ternes et falotes. Pourtant, durant ces courtes années qui s’éteindront avec le début de la guerre de 14-18, tout ce qui fera l’Art déco est déjà en germe chez quelques grands créateurs que sont Lalique, Fouquet et quelques autres. Mais la sinuosité des lignes prônées par l’Art nouveau nous empêche de voir ce qui va éclater bientôt au grand jour…

C’est dans un catalogue de ventes aux enchères de 1995, montrant des dessins de bijoux de René Lalique, que cette splendide boucle de ceinture «aux sauterelles» est révélée. Sachant que Lalique a cessé de faire des bijoux en 1910, ce dessin est de 1890-1905. Il est déjà géométrique, symétrique, un peu rigide et amène l’Art déco. Photo: Coutau-Bégarie.

Les «Roaring Twenties»

Dès 1910, les observateurs perçoivent que l’Art nouveau est discrédité. Les années 20 «flambent» et les femmes y sont pour beaucoup. Durant la guerre, elles ont tenu les rênes des pays belligérants, alors que les hommes étaient sur les fronts. Elles ont fait tous les métiers, les plus rudes, les plus cruels, les plus violents. Et maintenant que les hommes rentrent, elles ne comptent pas retourner à la nurserie, aux lessives et à la cuisine. Elles ont pris d’autres habitudes. Elles ne supporteront plus de porter des corsets, des jupes longues entravées qui ne leur permettent d’envisager que de tomber élégamment «dans les pommes». La silhouette ne se marque plus à la taille, elle devient tubulaire. Les jupes raccourcissent pour danser le charleston. Ces changements amèneront les très belles années du «sautoir» en bijouterie! Comme si tout cela ne suffisait pas, elles se font couper les cheveux «à la garçonne», comme le décrit Victor Margueritte dans son roman éponyme, publié en 1922, et qui lui vaudra d’être radié de la Légion d’honneur. Les femmes deviennent «scandaleuses», comme on dit alors et, encore, on ne parle pas de sexualité… Le monde danse sur un volcan: les mœurs se transforment, on a la rage d’exister, on veut s’étourdir, il faut reconstruire, l’inflation grimpe, la drogue fait oublier que demain n’est pas un territoire sûr. Les aristocrates sont ruinés, les riches n’ont pas confiance dans les banques et préfèrent investir dans les tableaux, les bijoux, les œuvres d’art. C’est l’épanouissement des «avant-gardes». La bijouterie et la joaillerie vont y prospérer.

Paire de boucles d’oreilles typiquement Art déco: contraste des couleurs, corail et onyx, motifs géométriques. Photo: CdV Consulting.

La vie est plus belle en couleur

Dans l’architecture comme dans la bijouterie, on brûle ce que l’on a adoré. Il en résulte la rigueur, la simplicité et les contrastes. Le trop plein d’ondulations a amené à l’autre extrême: la géométrisation et les couleurs. La taille des pierres précieuses a fait d’énormes progrès. Désormais, on utilise les cabochons, les plaques, les tables, Cartier a inventé la taille «baguette» et l’utilise depuis 1912. Les pierres dures comme le lapis lazuli, la malachite, l’onyx noir contrastent magnifiquement avec le corail et les perles, deux matières organiques très en vogue. Lalique a cessé de créer des bijoux dès 1910, mais continue, avec avidité, ses recherches sur le verre et deviendra un merveilleux «verrier» Art déco. Fouquet qui s’était constitué, avec l’aide de Mucha, un écrin Art nouveau, 6 rue Royale à Paris, démonte la boutique en 1923 et crée désormais des bijoux plus géométriques et symétriques. Il y intègre des motifs égyptiens et des matériaux modernes, reflétant l’influence de la découverte du tombeau de Toutankhamon en 1922.

Artiste pluridisciplinaire, figure majeure de l’Art déco, Jean Dunand est un décorateur, sculpteur, dinandier, ébéniste, laqueur et peintre suisse naturalisé français. Ce bracelet large est composé de sections rectangulaires nickelées, appliquées avec des panneaux géométriques en métal doré et laqué rouge et noir, reliées par des maillons en métal doré. Photo: Siegelson New-York.

Manifestes divers et exotisme

Les idées fusent dans les années 20! Entre 1922 et 1932, on dénombre un grand nombre de mouvements et manifestes: le fauvisme (couleurs vives et audacieuses), l’expressionnisme (émotion), le cubisme (géométrie fragmentée), le futurisme (mouvement, vitesse), le constructivisme (rationnel) ou encore le dadaïsme (subversif, absurde). Dès 1909, quand ont débarqué à Paris les fameux Ballets russes, leur âme slave et les explosions de couleurs des costumes et des décors, l’Art déco était en marche. En 1922, Howard Carter découvre une chambre dans le tombeau de Toutankhamon et le sarcophage du jeune roi: un déchaînement de couleurs! Des bijoux sertis de pierres dures et toute une grammaire ornementale renouvellent complètement l’art de la joaillerie avec le dieu Horus, les faucons, les lotus, les scarabées, les sphynx, toute une palette Art déco que l’on retrouve en se promenant au Louvre, aujourd’hui. C’est le temps des cornalines, des turquoises, du lapis et de l’or pour représenter le dieu Soleil. Une inspiration dont Van Cleef & Arpels, Cartier, Boucheron et d’autres, sauront faire leur miel.

Le bijou «Masque Chinois» (1923) de Georges Fouquet est une pièce emblématique de l’Art déco, caractérisée par son design exotique. Les boules sont en jade et chrysoprase. Le tout surligné d’émail noir et décoré de diamants et d’onyx noir. C’est pratiquement un devant de corsage. Photo: The Met New-York.

«L’Art Nègre»

Dès 1925, déboule à Paris une troupe américaine de musiciens et de danseurs, tous de peau noire. Elle est menée par une très jeune femme qui louche admirablement tout en dansant une sarabande endiablée mêlée de charleston avec, pour seul vêtement, une ceinture de bananes. Elle se nomme Joséphine Baker. Un trompettiste noir aux joues s’enflant démesurément apprend aux Français les bases du jazz, c’est Louis Amstrong. L’influence africaine et ce que l’on nomme alors «l’Art Nègre» se retrouve en bijouterie avec le «Masque nègre» dessiné par Jean Lambert-Rucki pour Georges Fouquet. Puis ce sera l’Exposition coloniale de Paris en 1931… L’exotisme imprègne les années Art déco. Hélas, bientôt le fracas des bottes résonnera à nouveau et le monde cessera de s’étourdir dans l’insouciance.

En revisitant l’évolution de l’Art nouveau vers l’Art déco, nous célébrons une époque de créativité et d’innovation qui continue d’inspirer le design du bijou contemporain. À l’aube des expositions de 2025, rappelons-nous que ces «années folles» ne sont pas seulement un souvenir éclatant pour une élite, mais une source intemporelle d’inspiration pour l’art, l’élégance et la beauté.

L’Art déco s’est développé dans tous les arts et également en architecture. La construction du Chrysler Building de New-York, un gratte-ciel emblématique de la période, a débuté en 1928 et s’est achevée en 1930. Il a été, pendant une courte période, le plus haut bâtiment du monde. Photo: Arnaud Bertrande.
Art déco et exotisme sur ce bracelet «chinois» signé Lacloche. Remarquez les liserés, haut et bas, réalisés avec des diamants, taille baguette. Photo: L’Ecole des Arts Joailliers.

Catherine De Vincenti

Très belle broche typiquement Art nouveau (début XXe) signée Henri-Auguste Solié, un artisan qui avait son atelier installé au 75 rue du Faubourg- Saint-Honoré à Paris. Il utilisait les thèmes organiques du mouvement en les fusionnant avec la forme féminine et, ici, avec de l’opale remplissant la toile d’araignée. Photo: Maison Riondet.

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