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Taïaut, taïaut, taïaut! La chasse est ouverte…

C’est un article de saison mais, à ma connaissance, Gold’Or n’a, jusqu’à présent, pas abordé un genre un peu suranné: le bijou de chasse. Depuis que les Anglais, un beau jour de 2005 (suite au «Hunting Act 2004»), ont rencardé la chasse à courre au rang d’abomination révolue, plus personne ne tue des animaux sauvages (renards, sangliers, cerfs, etc.) avec une meute de chiens courants et hurlants. Par conséquent, tout un pan de l’artisanat bijoutier britannique, français ou encore allemand, a subi un coup d’assommoir fatal. Plus de chasses à courre équivalait à la disparition des bijoux dits de chasse.

Si le bijou de chasse est avant tout l’expression d’une passion pour la vénerie, il permet à celui et, plus particulièrement à celle qui le porte, d’afficher son appartenance à un univers singulier. Si les hommes ont toujours aimé rapporter des trophées à leur retour de braconnage ou d’affût, sous forme de peau de bête, de dents ou de griffes d’animal sauvage, les femmes ont rapidement porté des bijoux plus sophistiqués mettant en scène les animaux poursuivis ou la campagne environnante.

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Remarquable exemple d’un bijou de chasse en cristal d’Essex minutieusement peint. La tête du renard se situe au centre d’un cor de chasse en or jaune 750 et le bijou est probablement terminé par une plaque de nacre. La pièce est en vente sur le site de Pragnell pour la somme de 2050 livres sterling. Photo: Pragnell


Du Moyen Âge au XIXe siècle

Au Moyen Âge, nobles et chevaliers portent des bijoux ou de petits trophées de chasse en signe de statut social. Le manant braconnait les lapins et les mangeait sur le champ, trop heureux de se remplir la panse. Certains, peut-être, conservaient une patte de lapin comme porte-bonheur. À la Renaissance, la bijouterie se développe, ainsi que le décor et la mise en couleur, grâce à l’émaillage. Les bijoux deviennent plus élaborés même un peu maniérés, représentant des motifs parfois grotesques, inspirés par des créatures animales mythiques ou fantastiques. Certaines de ces inspirations persisteront jusqu’à nos jours, dépouillées de leur estampille de bijou de chasse. Il n’est que de songer au fameux St-Georges terrassant le dragon!

Les significations du bijou de chasse

Au-delà de l’aspect esthétique, le bijou revêt toujours de nombreuses significations. La représentation de certains animaux semble offrir à ceux qui les portent, les mêmes qualités de férocité, d’invincibilité, de rapidité, de sagesse, etc.  Le chasseur est souvent assimilé à des valeurs de virilité, de courage et de maîtrise de soi, car il se dresse seul contre une bête féroce. Même si, de nos jours, il n’égorge plus un lion à mains nues. Le choix des couleurs des pierres précieuses qui décorent l’objet est aussi significatif. Les pierres rouges indiquent la passion, le sang, éventuellement la cruauté. Les pierres vertes rappellent la connexion du chasseur avec la nature et témoignent de son respect pour le monde animal et végétal. Théoriquement, sauf pour la chasse à courre (et encore…), l’animal a pratiquement toujours une chance de s’en sortir.

L’Époque moderne

C’est dans le dernier tiers du XIXe siècle que le bijou de chasse se démocratise et se diversifie. Les hommes, auxquels ne sont tolérés que de rares bijoux comme la chevalière, par exemple, vont s’emparer des motifs de chasse pour porter des boutons de manchettes et quelques pendentifs sur le thème. Pour les femmes, les broches, broches-barrettes et épinglettes se popularisent et sont mises en valeur sur un foulard, une cravate ou au revers d’une veste.

Le cristal d’Essex

En Angleterre, et particulièrement durant la période victorienne (1837-1901), un style de bijoux à la fois kitsch et coloré devient follement à la mode. Boutons de manchettes, bracelets ou broches représentant souvent des animaux chasseurs (chien de meute) ou chassés (faisans ou autres), font le bonheur des deux sexes amateurs de bijoux. Leur particularité est d’être réalisés en ce que l’on nomme, en anglais, Essex Crystal. Ce sont des cabochons de cristal de roche ou de verre, gravés par l’arrière (un peu comme une intaille) et peints, ensuite, avec délicatesse par un miniaturiste. Le cabochon est souvent fermé par une plaque de nacre ou d’ivoire qui, avec l’effet «loupe» du cabochon de quartz ou de verre, rehausse et fait scintiller l’objet qui sera ensuite serti dans du métal précieux. Les sujets des «Essex Crystals» sont majoritairement des animaux ou de la flore. L’un des ateliers anglais les plus connus pour la réalisation de cette technique rigoureuse est celui de la famille Pradier, des Anglais venus de France, qui vont répandre leur production dans toute l’Europe et jusqu’aux États-Unis. On peut même trouver des bijoux anciens signés Cartier ou Tiffany & Co, décorés de ces fameux cristaux d’Essex.

Aujourd’hui, les bijoux de chasse ne sont intéressants que s’ils sont anciens (entre 1860 et 1930). Certains bijoux contemporains «de chasse» contiennent même un kit de survie! Plus rien à voir avec la délicatesse du cristal d’Essex…

Catherine De Vincenti

Remerciements à Marie Chabrol du site www.legemmologue.com pour son excellent article sur le cristal d’Essex. Son site contient une mine d’informations pour tous les amoureux des bijoux, des bijoux anciens et de la gemmologie.

Photo: Ravissante broche-barrette anglaise, en argent, or à titre bas (9C) et diamants, taille rose, représentant un renard fuyant devant une meute de chiens. Photo et collection: Hofer Antikschmuck